Le capitaine Stéphane

Etienne Poitau est né le 23 octobre 1919 à Montceau-les-Mines dans une famille très chrétienne. Dès son plus jeune âge, il a une foi très vive. Un jour il n'alla pas communier, car il avait pensé pendant la messe au vélo qu'on allait lui offrir.

Il est un des benjamins de sa promotion de Saint Cyr. Attiré par le milieu montagnard, il choisit le 159e R.I.A. à Briançon, qu'il rejoint comme Sous-Lieutenant, mais il passe au régiment de formation dérivé du 15/9, le 140e R.I.A. Le 10 mai 1940, le régiment est dirigé vers la Somme; engagé à partir du 18 mai, Poitau va donner la pleine mesure de ses qualités de chef, de son autorité et de son sang-froid. Le 2 juin, il prend la tête d'une compagnie dont le capitaine a été tué au combat.

"J'ai tout quitté pour mes compagnons: la famille, l'amour, la vie tranquille. Si les Allemands me prennent vivant, je serais fusillé. Et fusillé dans le dos comme les officiers de l'armée secrète. J'avais rêvé de tomber comme le Saint-Cyrien de 1914, avec le casoar et les gants blancs. Mon Dieu, donnez-moi le courage de tenir".

Pendant un séjour au Maroc, il va découvrir le scoutisme, faire sa promesse le 1 février 1941, et créer une troupe : la 3ème Mekhnès. Il répond ainsi à un appel, ou plutôt à une volonté : celle de servir. De retour en France, il se retrouve instructeur à l'école de Billom, rôle qui prendra pour lui une dimension Chrétienne avec son engagement scout. Il restera toute sa vie imprégné de l'idéal scout, et prendra comme devise " Etre une grande flamme rayonnante ". Mais le scoutisme lui apporte plus qu'un idéal, il lui offre un mode de vie. On a dit de lui : " Pour lui s'occuper des jeunes, c'est poursuivre, d'une autre façon, son métier d'officier qu'il considère, en plus de son aspect militaire, comme une œuvre d'éducation de la jeunesse française désorientée par la défaite. " Peu de temps après, il cherche un territoire, et des hommes pour mener des actions de résistance à sa façon, c'est-à-dire de façon professionnelle, menant ses hommes au combat qu'après un entraînement intensif, et cherchant avant toute chose à préserver le sang de ses hommes. Il dira d'ailleurs :

" La vie, pour moi, c'est comme une grande course en montagne : joie de l'effort, de la lutte et, sitôt au sommet, terminé. Entreprendre, foncer, s'entêter malgré tout, faire marcher à force : parfait! " Dans le Dauphiné, avec des jeunes réfractaires du Service du Travail Obligatoire en Allemagne, des alpinistes membres de l'organisation "Jeunesse et Montagne" et de nombreux isolés, il fonde une Compagnie Franche sous le nom de Capitaine Stéphane dont l'insigne sera une étoile verte. Multipliant les coups de main et les embuscades, la compagnie compte à son actif pas moins de 69 actions de guerre entre le 4 juin et le 24 août 1944. Le fonctionnement de cette compagnie sera fortement inspiré de ce qu'il a lu comme écrits de Baden Powell, avec notamment, un système semblable au système des patrouilles( ses maquisards portaient aussi des shorts en toile beige…).

Portant à son paroxysme la célèbre formule "la sueur épargne le sang", Stéphane impose à son unité un entraînement intensif et un train d'enfer entre les différentes opérations qu'il mène.

A la différence de presque tous les autres groupes de résistance du Dauphiné, il change constamment de lieu de campement, ne campe jamais prés des villages pour éviter qu'ils ne pâtissent des représailles, et demande à ces hommes une vigilance constante pendant tout de même prés de deux ans. Très pieux, la Messe sera célébrée tous les dimanches dans sa compagnie, même si son unité est composé de personnes de toutes origines (même deux allemands anti-nazis). Il laisse à ses hommes le souvenir d'un homme remplit d'humanité, le modèle parfait du chef. Respectueux de la vie, il essayera de sauver la vie de miliciens qu'il avait capturés mais un tribunal les fusillera à la Libération.

Après liberation de la ville de Grenoble, le 29 août 1944, la compagnie Stéphane forme le noyau du 15e Bataillon de Chasseur Alpin reconstitué et participe à la campagne de Maurienne au début de 1945.

Au lendemain de la victoire, son esprit indépendant et anticonformiste s'accommode mal de la vie de garnison retrouvée. Il se marie le 28 décembre 1945, puis il est muté dans les TAP au 18e BIP où il commande une compagnie. Affecté comme instructeur à l'ESMIA à Coëtquidan, il suit peu après un stage à l'Ecole d'Etat Major, où il présente une étude qui fera date intitulée Guérilla en Montagne, largement inspiré des écrits de Baden Powell.

Il est désigné début 1952 pour servir en Extrême-Orient. A peine débarqué à Saigon, il est acheminé sur Hanoi et affecté à l'encadrement des Forces Supplétives du Nord-Viêtnam, où il se fait remarquer par la qualité de ses résultats.

Il est mortellement blessé au cours d'une embuscade sur la route de Hanoi à Bac Ninh le 4 avril 1952 et meurt le lendemain à l'hôpital de Lanessan à Hanoi.

L'aumônier de la compagnie, le père Carlier, dira de lui après sa mort:

" Stéphane était un croyant. Non pas un croyant au sens ou on l'entend trop souvent : celui dont la foi ne serait, à tout prendre, qu'un pur symbole ou simplement le disciple d'une idéologie abstraite, sans lien avec la vie. Mais, au sens plein du mot, le croyant qui vit sa foi et ne la sépare jamais de l'action. "

Parmi les objets envoyés à sa famille après son décès, il y avait ce petit dizainier scout qu'il portait dans la poche de son uniforme le jour de l'embuscade.

Le capitaine est inscrit au Mémorial National des Scouts Morts pour la France, à Riaumont. Chevalier de la Légion d'honneur médaillé de la Résistance, il était titulaire de cinq citations, dont trois à l'ordre de l'armée.